Exigence. Expérience. Excellence. Voilà les trois mots qui me viennent en tête pour parfaitement introduire le Château Croix de Labrie, l’un des petits nouveaux promus au sein du classement des vins de Saint-Emilion en 2022.
Par un beau matin de février, le froid s’est emparé du vignoble. Rendez-vous au Château Croix de Labrie pour une visite de la propriété en compagnie de Pierre Courdurié, l’heureux propriétaire de ce modeste domaine par la taille, mais immense par le caractère si raffiné et singulier de ses vins. Une rencontre qui me marquera à jamais tant par sa sympathie, sa convivialité, et surtout son expérience et sa maitrise du vignoble.
Un des pionniers des vins de garage
Beaucoup associent l’histoire des vins de garage au Château Valandraud en ignorant qu’en 1991 le château Croix de Labrie participe également à l’essor de ces nouveaux venus dans le monde viticole. Longtemps vus comme des ovnis dans cet univers, aujourd’hui ils font partis des plus grands de l’appellation.
Mais qu’est-ce qu’un vin de garage ? Ce terme est né dans le vignoble bordelais. A l’origine, ce sont des propriétaires de parcelles de vignes sur de petites surfaces, produisant de petites quantités de bouteilles. Ces vins sont élevés en fûts de chênes neufs, dans le garage des propriétaires. Ce sont des vins très plébiscités par les critiques, et font partis des meilleurs notes attribuées année après année. D’ailleurs petites quantités et grande qualité entrainent forcément des prix assez élevés.
Historiquement, en 1991, le Château Croix de Labrie exploitait 2,5 hectares de vignes. Ce n’est qu’en 2013, après le rachat par Axelle et Pierre Courdurié, que le domaine va se développer. Aujourd’hui, le château possède 5,16 hectares de vignes. Loin des immenses propriétés du Médoc avec leurs 94 hectares de moyenne, le domaine est à taille humaine. Et pour cause, Axelle et Pierre travaillent seuls dans leurs vignes et ne sont renforcés par quelques travailleurs périodiquement. Après avoir longtemps mûrit leur volonté d’acquérir un domaine, c’est en apprenant que le Château Croix de Labrie était en vente que Axelle et Pierre ont sautés sur l’occasion. Ce château est la parfaite incarnation de ce qu’ils cherchaient. Un petit domaine sur une appellation à taille humaine, quoi de mieux que la rive droite bordelaise avec les Saint-Emilion et Pomerol ?
La vigne avant tout
A cette époque de l’année (février), la vigne est en dormance, elle se repose
L’encépagement du château est classique de la rive droite, c’est-à-dire Merlot, Cabernet Sauvignon et Cabernet Franc.
Ce qui est fascinant ici, c’est la diversité des sols. D’ailleurs, ça illustre parfaitement la complexité de ces vins.
Les parcelles sont donc morcelées aux quatre coins du vignoble. Une première se situe sur le terroir de Badon, au pied de la côte de Pavie. Le sol y est composé de sable calcaire et d’argile, avec un sous-sol argilo-calcaire et crasses de fer. Une seconde parcelle est implantée sur Le Cateau, où le sol est composé de graves et d’argile bleue. Enfin, plusieurs parcelles sont éparpillées sur le plateau de Saint-Christophe des Bardes, sur 3 lieux-dits différents : Rocheyron, Peymouton et Eycheres. Ici, les sols y sont argilo-calcaire à astérie.
Cette hétérogénéité va donner une incroyable palette aromatique aux vins.
La travail à la vigne est principalement effectué par Axelle, elle y apporte continuellement de nouvelles techniques, ou plutôt, elle remet au goût du jour des techniques utilisées auparavant mais totalement délaissées au profit du rendement notamment par le fait qu’elles soient très chronophages. Une des tâches les plus importantes à ses yeux est la taille. C’est pour cela qu’elle n’hésite pas à toujours revoir sa manière de faire. Pour elle, il ne s’agit pas de travailler en vue du millésime qui arrive, mais plutôt en anticipation des 2 à 3 millésimes suivants.
Le travail de la vigne est également fait en bio et biodynamie. Employer ces modes de culture est un choix porté sur l’environnement. Et clairement, avec l’évolution des conditions climatiques et le réchauffement année après année, ce choix paye. A l’été 2022, alors que la France connait une canicule d’une rare intensité, sur certaines parcelles, la température au pied des plans de vigne était inférieure de 10 degrés à celle relevée dans le vignoble. La cause ? Un enherbement parfaitement maitrisé qui as permis de conserver une certaine fraicheur, et donc éviter un stress hydrique pour la vigne.
D’ailleurs, toujours dans cette même démarche environnementale, le domaine est propriétaire d’un bois à proximité du château. C’est là que tout un écosystème y vit en harmonie en allant des ruches pour les abeilles, au abris pour chauves-souris. C’est aussi là que sont confectionnés les infusions, compost et autres préparations qui seront utilisées pour prendre soin de la vigne tout au long de l’année. Comme le dit si bien Pierre, il est difficile aujourd’hui de faire du mauvais vin avec l’ensemble des différentes techniques qui existent dans le chai. La différence se fait à la vigne, en commençant par la composition du sol ou plutôt appelé le terroir, par la taille, les traitements donnés, mais aussi et surtout la qualité des grappes qui en sont récolté, afin d’en extraire des raisins à parfaite maturité.
Le climat au cœur des inquiétudes
Les millésimes passent mais ne se ressemblent pas, exception faite sur les conditions climatiques qui, elles, sont de plus en plus exigeantes au fil du temps. Le printemps arrive de plus en plus tôt (les bourgeons sortent vers fin mars voir début avril), les gels tardifs eux se produisent toujours à la même période (saintes glaces) et sont par la même occasion de plus en plus destructeurs.
Pour lutter contre ce fléau qui peut aller jusqu’à détruire une partie de la récolte d’un millésime voir sa totalité, plusieurs techniques sont utilisées afin de lutter le plus proprement et respectueusement de l’environnement. Le domaine utilise un agrofrost, une tour antigel et des bougies cependant ces dernières sont très contraignantes. En effet, outre le coût qui est non négligeable (comptez 14€/bougie) il faut les allumer au-dessus de 0°c donc +1°c, et la couverture est si faible qu’il faut en mettre 300 pour couvrir 1 hectare de vigne avec une durée d’utilisation de 8h environ. De quoi donner du fil à retordre à des vignerons qui s’en passeraient bien.
Sur Saint-Emilion, depuis 2 ans, des études sont faites par des chercheurs afin de comprendre comment lutter contre le gel et les effets climatiques. Lors des nuits de gel, ils survolent l’appellation dans un hélicoptère et font des relevés de températures avec différents matériels, et notamment des caméras thermiques, afin de pouvoir mettre en place des techniques pour mieux lutter contre ces aléas climatiques qui vont tendre à s’intensifier.
En 2022 il n’y a eu « que » 4 nuits de froid, cependant sur le plateau la température est descendue jusqu’à -10°c au plus bas. Si l’intensité de cette épisode glacial avait été aussi long que la période de gel de 2021, tout le vignoble perdait sa récolte. Vous comprenez donc qu’il est urgent d’agir. C’est pourquoi une agriculture raisonnée et portée sur l’environnement permet d’anticiper des aléas climatiques toujours plus éprouvants.
Un chai à taille humaine
C’est en rentrant dans le chai que l’on comprend encore plus ce que signifie domaine à taille humaine. C’est ici, à l’abri, que sont produits ces vins, ou plutôt ces élixirs.
Avant d’arriver au chai, il y a la fastidieuse étape des vendanges. Ici, elles sont manuelles et parcellaires. Axelle et Pierre passent sur chaque parcelle, dans chaque rangs, et croquent dans différents raisins afin de se faire une première idée de la maturité. Ensuite, ils en ramènent quelques-uns au laboratoire pour en extraire les différents paramètres chimiques et c’est à ce moment là que se décide du moment les plus idéal où les parcelles vont être vendangées. En effet, ce qu’ils recherchent c’est la fraicheur, et la maturité juste des raisins.
La récolte commence aux aurores pour se terminer en fin de matinée, dans la joie et la bonne humeur. Quoi de mieux que récolter le fruit d’un travail quotidien dévoué et acharné ?
Le premier tri se fait à la vigne, et s’en suivront 4 autres tris avant d’arriver dans les cuves. 100% de la vendanges est égrappée (retirer tout ce qu’il y a de végétal sur la grappe). En étant à parfaite maturité, les raisins ont suffisamment de tanins et de couleur.
Chaque cuve inox thermorégulée contient une parcelle. Le pigeage est fait par Pierre, à la main, afin d’avoir une extraction des tanins plus souple. Il ne s’interdit cependant pas quelques petits remontages afin d’humidifier le chapeau afin de faciliter le travail manuel.
Il font également des vinfications intégrales en barriques de 500l. C’est-à-dire que les raisins vont y être entonnés dès leur arrivée au chai et ce jusqu’à l’assemblage avant la mise en bouteille. L’objectif est d’extraire la parfait rapports entre le jus et le marc. Les vins seront plus fruités, et moins tanniques.
L’élevage se fait sur une durée de 18 mois, en fûts de chênes de 225l, barriques de 500l et foudre de 12 hectolitres. Pour 2022 par exemple, 70% de l’élevage est fait en fûts de 225l dont 70 à 80% sont faits en bois neuf, et 30 à 20% ont déjà connu un millésime. Le reste est élevé dans les autres contenants. Au fur et à mesure de l’élevage, chaque barrique est dégustée à l’aveugle.
L’assemblage final est fait par Axelle, Pierre, et le consultant œnologue Hubert de Bouärd.
Suite à la visite s’en est suivi une dégustation des millésimes 2019 et 2020 que vous pouvez retrouver dans la Tasting Zone.
Je tiens à remercier tout particulièrement Pierre pour cette fascinante visite. J’ai parfaitement pu m’imprégner de l’atmosphère de quiétude, d’exigence et de perfection qui règne au Château Croix de Labrie. Des propriétaires passionnés et dévoués récompensés par la promotion de leur domaine au sein du dernier classement des vins de Saint-Emilion en 2022, et ce n’est qu’un début. Un château qui ne manquera pas de faire parler de lui dans les années à venir.