Médaille d’or de la douceur

Souvenir d’une très belle dégustation au château Rayne Vigneau.

En cette année olympique, quoi de mieux pour introduire les vins liquoreux de Sauternes et Barsac que ce titre. Un terroir singulier, exigeant et éprouvant, où chaque millésime réserve son lot de surprises. Ici, plus que nulle part ailleurs dans le vignoble bordelais, les nerfs des vignerons sont mis à rude épreuve année après année, avec un objectif simple : produire un nectar unique, à la couleur du métal le plus prestigieux, capable de traverser les décennies.

Enchaînement de millésimes difficiles, désintérêt du consommateur (à tort ou à raison), Sauternes et Barsac ont dû se réinventer pour renaître de leurs cendres. Il faut avouer que ce sont deux appellations qui ne laissent pas de marbre. Des vins iconiques d’une complexité des plus singulières, personne ne reste insensible face à tant de douceur et d’élégance.

Historique de l’appellation, raisons du mal-être et moyens par lesquels ils essaient de s’en sortir, en avant pour un voyage qui ressemble à s’y méprendre à une ode à la douceur. Enfin, vous retrouverez à la fin de cet article mon avis sur ces appellations, avec quelques conseils d’accords possibles.

Histoire

Appellation d’Origine Contrôlée depuis 1936, il faut remonter au 19ème siècle pour trouver trace des premiers écrits attestant d’une production de vins sur le sauternais.

Composée de 1900 hectares répartis sur 5 communes (Barsac, Bommes, Fargues, Preignac et Sauternes), l’appellation compte pour seulement 2 % de la production de l’ensemble du vignoble bordelais. En tout, ce sont plus de 120 propriétés dont 27 ont eu l’opportunité d’être classées parmi les meilleures lors du classement des vins du Médoc établi en 1855 à la demande de Napoléon III. Elles se répartissent en 3 classements distincts : Premier cru classé supérieur (Yquem), Premier cru classé et Second cru classé. Certaines propriétés n’ont, cependant, rien d’autre à envier à leurs voisines que le classement, au vu de la qualité des vins qu’elles produisent.

3 cépages y sont cultivés : Sémillon, Sauvignon et Muscadelle. Chacun apportera son caractère lors de l’assemblage final. Le Sémillon, en majorité, pour son gras, sa richesse et sa rondeur. Le Sauvignon pour son acidité et son aromatique, pleine de fraîcheur et de subtilité. Enfin, la Muscadelle, dans une part très maîtrisée et minoritaire, pour apporter sa complexité et son onctuosité.

Le terroir est principalement composé de couches de graves (de différentes épaisseurs) sur un sous-sol argilo-calcaire, calcaire ou sableux, idéal à la production de vins d’exception.

Cependant, et c’est là que ces deux appellations sont singulières sur le bordelais, rien ne serait possible sans l’apparition du Botrytis Cinerea, un champignon qui porte le doux nom de pourriture noble. Les 3 cépages qui y sont cultivés sont, tous trois, sensibles à la mise en place de cette pourriture. C’est cette dernière qui permettra aux raisins de développer des arômes qui rendent les vins uniques de complexité.

Mais comment apparaît ce champignon ?

Tout commence grâce à une rivière, le Ciron. Longue de 97 km elle prend naissance dans les Landes de Gascogne, traverse le sud de la Gironde, passe par le sauternais pour aller se jeter dans la Garonne à hauteur de Barsac. C’est à la rencontre de ces deux eaux aux températures différentes que va naître un brouillard typique du terroir sauternais. Ce brouillard matinal amène l’humidité nécessaire au développement d’un champignon, le Botrytis Cinerea. La peau des raisins sera donc fragilisée et va permettre aux baies de perdre l’eau qui les composent. La chaleur qui s’installe à partir de la mi-journée va servir, quant à elle, à permettre la bonne maturité des raisins en apportant le soleil et la chaleur nécessaire.

La date des vendanges sera décidée lorsque les vignerons estimeront que les raisins sont à la maturité qu’ils attendaient. Malheureusement, il y a des années où le Botrytis n’est pas au rendez-vous, et c’est là que les équipes des châteaux devront montrer l’étendue de leurs compétences, mais surtout, c’est à ce moment-là qu’elles devront prendre des décisions, parfois lourdes de conséquences.

Ici, plus que nulle part ailleurs, les vendanges sont éprouvantes, car elles nécessitent plusieurs passages dans les parcelles. Chaque passage est appelé une trie, en général ce sont 3 à 5 tries qui sont effectuées afin de récolter les baies à différentes étapes de maturité.

Les techniques de vinification ne diffèrent pas spécialement des vins blancs classiques, ce qui peut différer, c’est leur mise en barriques ou non pour l’élevage, une fois de plus, tout dépend des choix effectués par les équipes techniques.

Vous l’aurez compris, les vins liquoreux de Sauternes-Barsac sont vraiment uniques, notamment grâce à leur terroir, sans qui, rien ne serait possible. La main de l’homme ne vient que sublimer ce que la nature offre. Hélas, l’appellation souffre d’un abandon qui met à mal, aujourd’hui, toute une production.

Des appellations à l’abandon ?

Depuis quelques années, le vin est une boisson de moins en moins consommée. Manque de connaissance de la part des jeunes générations, lobby anti-alcool, émergence du monde des spiritueux, problématique économique, les raisons sont vastes et détruisent, malheureusement, toute une filière.

De nos jours, les vins liquoreux de Sauternes-Barsac sont négligés par les consommateurs. Jugés par les jeunes générations comme étant trop lourds, trop sucrés, peu digestes, mais aussi trop onéreux, on leur préfère aisément les vins blancs secs de l’appellation voisine des Graves. A tort ou à raison, le fait est que ces appellations souffrent d’un abandon croissant, qui dure depuis de nombreuses années maintenant. Les modes de consommation changent, associons à ça des millésimes compliqués du fait d’un climat des plus dangereux quant au développement du Botrytis, et vous comprendrez en quelques secondes le mal-être de bon nombre de vignerons.

Effectivement, pendant trop longtemps les vins liquoreux ont été assimilés aux repas festifs de fin d’année, accordés avec le fameux foie gras servi en entrée. Cependant, est-ce réellement faux ? N’a-t-on pas alimenté cet accord au fil du temps, pour n’en faire que l’unique possible ? Qui n’a pas déjà vu son aîné sortir un Sauternes et nous vanter les mérites de son accord ?

Une question me taraude alors, serait-il utopique de penser que l’on puisse boire un Sauternes avec un autre type de met ? La réponse est, et sans aucune hésitation, OUI ! Quel dommage ça serait de ne cantonner un vin qu’à un seul accord possible. En apéritif, en accompagnement d’un plat principal, avec du fromage, ou se suffisant à lui-même en tant que digestif, il y a une multitude de manières d’ouvrir un vin liquoreux, encore faut-il être curieux et parfois même un peu téméraire. Sur la vivacité durant ses jeunes années, sur l’onctuosité et la complexité aromatique après plusieurs années de vieillissement, il y a vraiment moyen de s’amuser et de faire fureur à sortir ces vins, quitte à surprendre ses convives. Il fallait donc une grosse remise en question de la part des propriétés afin de repenser leurs vins, les rendre plus digestes mais surtout, plus dans l’ère du temps.

Une renaissance indispensable

Nombreux sont les vignerons qui ont dû revoir leur copie afin de panser les plaies de tant d’années noires. De plus en plus de propriétés se mettent donc à produire des vins blancs secs. Preuve que le terroir sauternais et barsacais n’est pas voué à produire uniquement des liquoreux.

Ces vins sont remarquablement faits, et sont surtout de très belles signatures pour les vignerons qui s’y risquent. Seulement, peut-on réellement parler de risque ? Vu à quel point il est difficile de produire des vins liquoreux, il apparaît comme une formalité de sortir des vins secs de grande qualité avec un très beau potentiel de garde. Que les grappes soient issues de parcelles qui leur sont dédiées ou qu’elles soient issues des mêmes parcelles servant à produire les liquoreux, les propriétés ne cessent de vouloir innover, mais surtout, bataillent pour obtenir une appellation qui valorisera leurs vins.

Prenons par exemple les châteaux Yquem et Rayne Vigneau, qui s’y sont lancés depuis de nombreuses années maintenant. Aujourd’hui, ce sont leurs voisins qui, petit à petit, font preuve d’ingéniosité afin d’essayer de sortir du lot et imposer leur style.

Outre les secs, les propriétés produisent divers vins, des premiers, étendards de la propriété, aux seconds ou troisième vin, personne n’est lésé.

Les seconds et troisièmes vins sont là pour permettre une première approche du château. Plus frais et fruités, ils ont un potentiel de garde plus limité, mais qu’importe, l’objectif n’est pas de les conserver mais plutôt de les consommer, et c’est d’ailleurs ce qui plaît aux consommateurs. Les taux de sucre résiduels sont moindres, ce qui permet de percevoir ces vins comme étant plus digestes. D’ailleurs, les troisièmes vins peuvent être utilisés dans l’élaboration de cocktails, ce qui plaît beaucoup aux amateurs de mixologie. Cependant, il y a encore 2 écoles quant à ces procédés. L’ancienne génération, plus traditionaliste, ne voit pas d’un bon œil la production de ces vins pour une utilisation à des fins de cocktails (bonne ou mauvaise idée, je vous laisse en être juge).

Les premiers vins, quant à eux, ont dû être repensés, fini les bodybuilders en surmaturité, testostéronée en sucre résiduel. Aujourd’hui, les vignerons cherchent principalement la subtilité, la complexité aromatique ainsi que la fraîcheur, mais surtout la digestibilité (terme un peu barbare, il faut l’avouer), et c’est là que se fera la différence dans les années à venir. Le climat étant en perpétuel réchauffement, la question ne sera pas de savoir qui aura les raisins les plus mûrs, mais plutôt, qui sera capable d’en conserver l’aromatique et la fraîcheur. Un défi que les vignerons sont prêts à relever.

Les appellations se sont dotées d’un syndicat, dirigé en co-présidence par Jean-Jacques Dubourdieu (Domaines Denis Duburdieu) et David Bolzan (Vignobles Silvio Denz).

En 1979, une maison du Sauternes a été créée au cœur du village. C’est une association de vignerons, qui vient faire la promotion de leurs vins. Chaque année, deux cuvées sont d’ailleurs élaborées avec pour objectif de pouvoir financer le fonctionnement de la maison. Pour les crus classés, y adhèrent, entre autres, les châteaux Yquem, Climens et Rayne Vigneau pour ne citer qu’eux, et pour les non classés, Bastor-Lamontagne, Haut-Bergeron, Raymond Lafon et consorts.

La première cuvée, Duc de Sauternes, est élaborée à partir de l’assemblage des 0.5 % de récolte de chaque vigneron adhérent à l’association. La seconde, Duc de Sauternes cuvée spéciale, est composée par l’assemblage de plusieurs crus classés de l’appellation.

Enfin, en plus d’une offre oenotouristique qui s’enrichit au fil des années, les propriétés organisent beaucoup d’événements, avec notamment les apéros dorés du château La Tour Blanche ou le brunch du 1er dimanche de chaque mois au château Rayne Vigneau. Des appellations dynamiques qui montrent qu’il ne faut jamais baisser les bras.

Vous l’aurez compris, après l’orage vient le beau temps. Un long tunnel traversé par ces appellations, qui entrevoient enfin le bout après de grosses remises en question. Tout n’est pas gagné, mais il faut avouer que les propriétés tiennent le bon bout.

Avis personnel

Je dois vous avouer que les vins de Sauternes-Barsac sont en quelque sorte ma madeleine de Proust. Je suis émerveillé devant tant de douceur, de complexité, d’élégance mais surtout de potentiel. Ces vins collent parfaitement à l’expression suivante : Les seules limites qui existent sont celles que l’on s’impose. Même si ma préférence va aux liquoreux qui ont déjà 15-20 ans, je dois dire que j’ai été très agréablement surpris par la buvabilité des derniers millésimes, avec notamment les deux millésimes resplendissants que sont 2017 et 2021. Oui, ce sont des vins qui ont besoin de temps, mais dans leurs jeunes années ils ont tant à nous exprimer qu’il serait dommage de s’en priver.

Deux appellations qui, à mon goût, mériteraient plus de reconnaissance de la part du consommateur.

Certains disent qu’on n’oublie jamais son premier Yquem, et c’est vrai, cependant, j’aime plutôt dire que l’on n’oublie jamais son premier grand liquoreux dégusté. Je garde encore en mémoire un Rayne Vigneau 1996 (bu en 2023) d’une exceptionnelle jeunesse. Finalement, tout est question de l’instant, des personnes avec qui l’on déguste ces vins, mais surtout de l’accord que l’on va faire avec.

Pour découvrir tout cela et apporter du concret à mes dires, je vous conseille vivement d’aller rendre visite aux diverses propriétés des appellations Sauternes et Barsac, ainsi qu’à la maison du Sauternes. Vous y découvrirez tout l’univers de cette appellation en compagnie d’hôtes très accueillants. Vous pourrez également y déguster quelques verres pour illustrer ce que vous aurez pu apprendre. Visiter cette maison, c’est comprendre l’essence même de ces deux appellations iconiques du paysage bordelais.

Conseils d’accords possibles

Comme je l’ai dit en préambule de cet article, pendant de nombreuses années on n’a cantonné le Sauternes (ou le Barsac) qu’à un seul accord possible : le foie gras. Une idée reçue qui a fait son temps aujourd’hui et qui contribue à l’abandon de ces appellations par le consommateur. Pourquoi saturer son palais avec du sucre alors que l’on déguste un met déjà très riche ? Voici mes quelques idées d’accords possibles, qui n’engagent que moi bien sûr, mais qui méritent d’être testées.

Plus haut, dans cet article, je vous ai présenté les seconds et troisièmes vins produits par les châteaux. Effectivement, ils sont frais, fruités et déjà bien expressifs des terroirs de sauternes, sans pour autant avoir des sucres résiduels trop importants. Vous pourrez donc les déguster bien frais, en apéritif, avec notamment un peu de Tzatziki frais sur un blinis. Si vous ne souhaitez pas les accorder, vous pourrez simplement les déguster se suffisant à eux-mêmes. L’idée avec ces vins n’est pas spécialement de les faire vieillir, mais plutôt de les déguster dans leur jeunesse afin de profiter de toute leur énergie.

Pour les premiers vins, là clairement, nous avons de quoi nous amuser.

Dans un premier temps, en entrée, l’accord qui se veut idéal, c’est celui qui est avec de belles asperges fraîches. Préférez un vin dans sa jeunesse. Sa fraîcheur, sa vivacité mais aussi son aromatique se prêtent très bien à ce type d’accord. Un château Filhot 2021 fera parfaitement l’affaire.

En plat, osez un beau poulet rôti avec ses pommes de terre, vous savez, celui que l’on déguste devant Walker Texas Ranger le dimanche. Pour cela, prenez un liquoreux qui a déjà une petite dizaine d’années, son léger vieillissement lui permettra de développer des notes propices à ce genre d’accord. Simple, efficace. J’ai en mémoire un très beau château Doisy-Daëne 2012 sur lequel vous pouvez aller les yeux fermés.

Pour le fromage, là, nous rentrons dans les choses sérieuses. Osez un Sauternes qui a déjà 15-20 ans minimum. La complexité acquise grâce à une telle garde sera parfaite, et se mariera à perfection avec un joli fromage type Comté ou Cantal bien affiné. Beaucoup penseraient également aux fromages à pâtes persillées, et ce n’est pas une erreur, mais l’accord serait trop classique. Un château Rayne Vigneau 2005 par exemple. Attention, la perfection n’est plus très loin.

Enfin, et ça va faire grincer des dents, je n’aime pas le liquoreux sur le dessert. Trop de sucre tue le sucre, cependant, en fin de repas en guise de digestif, là c’est parfait. Un vieux liquoreux se suffit à lui-même. Sur les plus gros millésimes, il y a vraiment moyen d’être stupéfait par tant de fraîcheur, de complexité et d’expression aromatique. Mes papilles en frétillent encore rien qu’à repenser à ce château Yquem 1995 bu dernièrement, si vous en avez en cave, allez-y, c’est le meilleur moyen de finir son repas en apothéose.

Enfin, pour les liquoreux, je vous partage mon petit accord atypique : Les sushis. Oui ! Vous pouvez aisément marier un liquoreux avec des sushis, encore faut-il qu’il soit dans sa jeunesse pour profiter au maximum de sa vivacité.  

Comme présenté ci-dessus également, les propriétés produisent de très beaux vins blancs secs. Mariez-les avec des plats à base de crustacés, de poissons et de viande blanche. Ne réservez pas simplement les vins de Graves pour les huîtres du bassin. Les blancs secs des terroirs sauternais et barsacais sauront amplement vous satisfaire et surprendront vos convives.


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